Fig1.

S'il est bien une relation étrange que nous entretenons, c'est certainement notre relation au temps.

Le temps est passé vite aujourd'hui !

Ohh le temps ne passe pas, j'ai l'impression que ça fait une éternité !

Qui n'a jamais prononcé ces mots ?

Facteurs de perception temporelle

A notre échelle et pour notre référentiel, nous pouvons négliger les déformations de la dimension temporelle et ainsi considérer que le temps est uniforme entre vous et moi.

Similairement aux illusions visuelles, le temps fait aussi objet d'illusions vis-à-vis de la durée, de l'ordre et de la simultanéité des évènements².

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi certains jours semblent s'éterniser là où d'autres passent tellement rapidement que vous avez l'impression que ce matin était une autre journée ?
Mais quels sont les facteurs psychologiques et physiologiques derrière cette perception tant personnelle d'un phénomène pourtant si universel ?

Tout d'abord, deux schémas sont à différencier.
Quand un événement x est de l'ordre de la seconde ou moins, il s'agit d'une perception automatique, directe. Un évènement y se mesurant quant à lui en minutes, jours, semaines ou mois sera catégorisé de cognitif⁴.

Les deux systèmes empruntent deux circuits neuronaux complètement différents.

Les événements x auront plus tendance à solliciter le système nerveux autonome, les aires cérébrales motrices, prémotrices et auditives, donc à engendrer un mouvement, là où les événements y impliqueront le système nerveux central, avec notamment l'implication du cortex pariétal et préfrontal⁴.

Coopération psychologique et physiologique : l'impact de nos émotions

Le premier facteur influençant la déformation subjective du temps est la quantité d'informations que nous assimilons et interprétons¹.
La peur en est un très bon exemple. Quand nous avons peur, nous interprétons quasiment toutes les informations qui entrent dans le système :

• Vision,
• Ouïe,
• Odorat,
• Température,
• Sensation kinesthésiques,
• etc...

Plus nous traitons d'informations, plus notre perception du temps décélère.

David Eagleman testa cette hypothèse en terrifiant des sujets volontaires^2,3 en les jetant du toit d'un immeuble. (Dois-je préciser qu'ils étaient bien entendu sécurisés ?). L'événement enduré provoqua un accroissement de la quantité d'informations traitées par le cerveau des participants ayant pour conséquence un ralentissement de la perception du temps.

Le temps dicte le schéma de nos vies - quand nous travaillons, quand nous mangeons, et même quand nous décidons de faire la fête. - Claudia Hammond, Time Warped.

Comme énormément de caractéristiques liées à la vie, la perception du temps est liée à une coopération.

Comme explicité précédemment, le lobe frontal est impliqué dans la perception, mais aussi dans la création et la rétention de souvenirs. Sans un cortex frontal fonctionnel, le jugement du temps s'en retrouve altéré.

Le neurologiste Giacomo Koch rapportait alors les propos de son patient pour les moins étranges¹.
Un Homme de 49 ans est venu se plaindre de sa mauvaise représentation temporelle : il se levait, partait travailler, réalisait les tâches qu'il avait à faire et rentrait chez lui. Alors qu'il pensait avoir fini sa journée, il n'était même pas l'heure du déjeuner.
Après passage à l'IRM, il s'est avéré que son lobe frontal était endommagé.

De surcroît, le système dopaminergique entre en ligne de compte.
Quand les niveaux de dopamine augmentent, que ce soit naturellement (activité physique⁶, apprentissage, joie, etc...) ou artificiellement (drogues récréatives, médicaments), notre horloge interne s'accélère semblant alors contracter le temps, et donc le faire "s'écouler" plus vite.

Modifications sensorielles

Amélia Hunt expliquait alors que l'augmentation de notre focalisation sur le temps ralentissait notre perception, pouvant aller parfois jusqu'à la chronostasie, le point où le temps semble s'arrêter¹.

Les expériences passées ont elles aussi un impact non-négligeable :
Une première expérience vécue semble durer plus longtemps que les occurrences suivantes.
Là où certains auteurs appellent ce phénomène "dilation temporelle de la première occurrence", David M. Eagleman préfère faire référence à une "contraction des stimuli répétés"².
Ce phénomène pourrait être expliqué par la quantité d'énergie utilisée pour le traitement de l'information : plus notre cerveau dépense de l'énergie par l'activation de nouveau schémas neuronaux, plus "le temps se dilate", ce qui expliquerait la contraction du temps au fil des occurrences.

Plus étonnant encore, un papier publié par Chess Statson en 2006 rapporte⁷ que le cerveau s'habitue au délai entre l'action et sa conséquence sensorielle.
Par adaptation à un délai de 100ms entre l'appui sur un bouton et l'allumage d'une lampe, la suppression de ce délai provoque une illusion temporelle où la lampe semble s'allumer avant même d'avoir pressé le bouton.

Temps et société, perspectives

Dans son livre Don't Sleep, There Are Snakes⁸, Daniel Everett - linguiste Américain ayant passé quatre décennies auprès du peuple Pirahã en Amazonie - relate une curiosité pour le moins surprenante : n'ayant pas de concept permettant l'énumération au sein de leur langue, les Pirahãs souffrent de problèmes quant à la notion du temps cognitif.

Le linguiste recevait ses ravitaillements toutes les 8 semaines, et malgré la récurrence constante, la tribu ne cessait de lui demander quand l'avion allait arriver. A chaque fois, ils étaient impressionnés par sa capacité à savoir exactement quand les vivres et le matériel seraient là.

Bien que la perception automatique du temps ait l'air partagée par tous les êtres humains, car intrinsèque aux qualités cognitives comme la résolution de problèmes, des actions motrices ou encore la communication, la perception cognitive du temps semble plus hétérogène.

Quid des maladies affectant le système dopaminergique comme Alzheimer ou Parkinson ?

Références

1. Claudia Hammond, Time Warped.
2. Eagleman, Human time perception and its illusions. 2008. DOI : 10.1016/j.conb.2008.06.002
3. Eagleman, et al., Time and the Brain: How Subjective Time Relates to Neural Time. 2005.
4. Lewis et Miall, Distinct systems for automatic and cognitively controlled time measurement: evidence from neuroimaging. 2003. DOI : 10.1016/S0959-4388(03)00036-9.
5. Buhusi et Meck, What make us tick? Functional and neural mechanisms of interval timing. 2005. DOI : 10.1038/nrn1764.
6. Edwards, et al., Time perception, pacing and exercise intensity: maximal exercise distorts the perception of time. 2017.
7. Stetson, et al., Motor-sensory recalibration leads to an illusory reversal of action and sensation. 2006. DOI : 10.1016/j.neuron.2006.08.006.
8. Daniel Everett, Don't Sleep, There Are Snakes. 2008.

Table des illustrations

Fig1. CC0 Pixabay.

Pour aller plus loin

• How visual stimulus effects the time perception? The evidence from time perception of emotional videos
• Meta-analysis of time perception and temporal processing in schizophrenia: Differential effects on precision and accuracy. DOI : 10.1016/j.cpr.2017.03.007

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