14/18 Nous sommes de la boue qui marche #8

in #life7 years ago

Guerre de 14/18 - Episode 8
Marraine de guerre ou flirt, une distraction aimable et une bonne action

Les lettres de mon grand-père échangées avec ses proches pendant la guerre de 1914/1918 sont restées au fond des tiroirs jusqu'à ce que la commémoration du centenaire de " La Grande Guerre" réveille les mémoires et invite mon père, en premier, à me parler de son beau-père.
La chance me permit de récupérer ensuite de nombreuses lettres chez des parents. A travers ce blog je vais vous faire partager une partie de cette correspondance de 1914 associée aux mémoires de mon grand-père qu'il a écrites en 1956.

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Lettre de Robert à sa sœur Renée – 26 Octobre 1915

Ma Chère Renée,
J’ai reçu plusieurs envois d’imprimés : « Le Rire », « La Baïonnette » « Le Temps » et une boite en métal contenant du tabac. Je te remercie beaucoup de tout cela mais ce n’est pas la peine de me faire un colis de tabac car nous en touchons tous les dix jours.

J’ai une petite nouvelle à te dire. Un jour, en lisant « Fantasio » envoyé par toi je crois, je vis que ce magazine avait fondé une œuvre : « Le Flirt au Front ». Comme cela ne coûtait rien et ne tirait pas à conséquence, j’écrivis un mot à « Fantasio », lui demandant un flirt, tout de go. J’en parlais même vaguement à papa qui s’en amusa.

Pendant un mois je ne reçus aucune nouvelle. J’avais désespéré quand tout d’un coup je reçus ici une lettre à l’écriture inconnue qui était la réponse. Ce n’est pas un flirt, ce n’est pas une marraine, c’est une camarade qui est très calée.

Elle vient de passer son bachot, tout comme Pierre que je félicite, et se destine pour la médecine. Je n’aime guère ça pour une femme mais comme elle m’est sympathique je lui raconte un peu ma vie, le Maroc et les tranchées.

Elle me dit être une bonne pâte, a un style sans apprêts mais amusant. Enfin, je n’en suis pas trop fâché, c’est troujours une inconnue qui m’écrit assez souvent. Elle aimerait voyager, voir l’Inde et le Japon. Elle est très forte en graphologie et m’a dit toutes mes qualités et défauts avec une vérité saisissante à distance.

Il y a des moments où je crois qu’elle connaît ma famille. Je te montrerai ses lettres plus tard.

Je suis toujours en bonne santé, même travail, même corvées, mêmes échanges d’obus franco-boches. Je crois bien que nous commençons à prendre nos quartiers d’hiver. De plus en plus je m’organise une petite vie bien tranquille. Mais ce que je te dis là c’est ce que je désirerais et n’est pas ! Quand donc y aura-t-il un repos qu’on pourra vivre en paix !

Vous commencez à vous y habituer vous autres, à l’arrière, d’avoir les Poilus qui vous gardent. Ah vois-tu ce mot-là, « Poilus » il nous dégoûte maintenant. Poilus ! Mais c’est trivial, c’est commun, c’est ce que nous ne sommes pas ! Cela veut dire bête, animal, alors que nous sommes comme vous, que nous avons notre droit de vivre aussi bien que d’autres, que si nous sommes sales, aux mains dures, c’est pour vous, à cause de vous.

« Ils y sont habitués qu’ils y restent ! » ai-je entendu dire un jour à Châlons quand j’y ai débarqué la dernière fois. Cette phrase, vois-tu, m’est encore lourde.

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Pas plus tard que cet après-midi un fusant (105 je crois) est venu éclater au-dessus de l’endroit où nous finissions de travailler. Les balles et les éclats plurent sur nous. Par un hasard personne ne fut atteint excepté un cheval. Quand j’eus rapidement salué l’animal et que je vis toutes ces balles siffler autour de moi, je t’assure, je n’eus même pas le petit frisson mais seulement un ennui, celui de n’avoir pas encore reçu la blessure heureuse pour voir l’arrière.

Adieu, je t’embrasse bien tendrement ainsi que Papa, Maman et les petites sœurs. Un gros bécot pour Pierre et mes félicitations. Ton frère qui t’aime.

Lettre de Robert à sa sœur Renée – 29 octobre 1915

Je reçois beaucoup moins de correspondance, cela me peine un peu. Mais enfin tout n’est pas éternel, même les meilleures amitiés.

Entre nous, ce qui me peine un tant soit peu c’est que cette permission ne semble pas approcher. Il y a si longtemps cependant que je n’ai repris contact avec la vie civilisée.

Les gens qui m’écrivent, me narrent leurs amusements ce qui me fait penser un peu plus amèrement à notre existence de sauvages. Les réservistes qui arrivent du dépôt où certains ont passé quinze mois, gèlent, ne savent pas se couvrir, ne savent pas faire un feu, ronchonnent, trouvent la terre trop dure, la pluie froide, les chevaux sales et la cuisine mauvaise. Ils ont une existence atroce.

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Et dire qu’il y en a des milliers qui coulent des jours heureux à l’arrière, qui se gobergent, vont au théâtre et qui se plaignent !
Tu sais que les Poilus sont les descendants des grognards lesquels grognaient mais marchaient. Si je ronchonne de temps à autre cela ne doit pas tirer à conséquence mais cela tient au mauvais temps, à ce que le feu ne marche pas et pire, au froid aux pieds, à la flemme, à la pipe, que sais-je ? Il ne faut pas m’en vouloir.

En ce moment nous perdons, nous autres, un peu pour vous, nos meilleures années et faisons provision de rhumatismes mais nous ne le regrettons pas je t’assure.

Enfin, amuse-toi, fais du bien, c’est le principal. Tu es jeune, moi aussi, mais tâche de bien occuper à te divertir les meilleures années de la vie, va!
Je t’embrasse tendrement ainsi que tous. Ton frère qui t’aime.

Carte de Robert à sa sœur Renée – 12 Novembre 1915

Merci de ta lettre ma chère Renée. Je suis en excellente santé. J’espère que Papa se remet complètement. Quant à mon flirt dont tu grilles, je le sais, d’avoir des nouvelles, figure-toi qu’elle n’est pas si atterrée que cela ma Bachelière. Depuis qu’elle a passé son examen elle n’en fiche plus une datte ! Mais cela me laisse indifférent, pourvu qu’elle m’envoie de longues lettres, ce qu’elle fait d’ailleurs sans se faire tirer l’oreille. Je remercie bien maman pour un petit colis reçu aujourd’hui. Je ne peux guère te raconter de nouvelles choses car il fait toujours un temps de chien. Adieu, mille bécots à tous. Ton frère qui t’aime.

Mémoires

On passa dans la Meuse à Haironville, près d’Ancerville, une période tranquille. J’eus mon unique permission de détente à Paris et fis connaissance de ma marraine de guerre, Lily Cattier, une petite étudiante brune et croustillante aux lettres charmantes, avec qui j’avais été mis en contact par le journal «Fantasio ».
Je l’attendais au coin de la rue Claude Bernard. Elle me plut beaucoup et j’en restais tout interdit. Nous nous promenions à pied, en taxi. J’étais horriblement timide et froid.
Enfin, le dernier jour, à la dernière sortie alors que je la raccompagnais, elle me jeta un :
« Mais nous allons nous quitter, embrassez-moi au moins ! »
J’aurais voulu retarder, rattraper, trop tard. Elle s’était déjà envolé.

(J’inclus ici la seule lettre de Lily qui a été conservée par je ne sais quel miracle d’ailleurs puisque sur l’enveloppe il est écrit : "Le Destinataire n’a pu être atteint". Et pour cause !...)

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Lettre de Lily à Robert – 1er mars 1916

Ami Robert,
Toujours sans nouvelles de vous. Voilà 12 jours que j’attends un mot. Je sais que vous êtes en plein centre de l’action parce que vous devez être en Meuse. Je ne sais plus faire qu’une chose en ce moment c’est lire les journaux.

Depuis 9 jours on ne reçoit pas de lettres de tous ceux qui combattent autour de Verdun. Ami Robert, nous nous sommes trop endormis à l’arrière, nous avons cru qu’il n’y aurait pas, d’ici longtemps, de grande bataille, aussi je vous assure que la chose est plus douloureuse, on ne vit plus que dans l’attente des lettres et des communiqués.

Pour ma part j’ai trop oublié que nous étions en guerre, j’aime mieux le reconnaître sincèrement aujourd’hui.
Ami Robert, essayez je vous en prie de m’écrire un mot, un simple mot et votre ami Lily fera des bonds de joie en apprenant que vous êtes sain et sauf.

Aujourd’hui je ne vous parle de rien de ce qui se passe ici, de ce que je fais, c’est trop mesquin à côté de la poignante réalité. Je me demande comment j’ai pu si souvent oublier que vous étiez au front. Je n’ai même jamais eu la pensée que vous pourriez être en danger ; je l’ai aujourd’hui et cette idée est si ancrée que j’attends les courriers toute la journée, ce que je n’avais jamais fait.

Je vous quitte Robert car j’attends encore les lettres de 11 heures en espérant que je pourrai répondre à une des vôtres. Je regrette très sincèrement maintenant d’avoir été avec vous et si souvent, une petite rosse.
Un bon shake hand.
Lily

5 heures, je suis encore bredouille, pas le moindre mot. Ecrivez Robert!

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A suivre

Sort:  

Toujours aussi incroyable cette correspondance. Il faudrait en faire un livre !

Le livre existe déjà, je l'ai fait publier en 2014.
J'ai choisi quelques lettres pour le blog parce qu'il me semblait utile de partager cet émouvant témoignage avec le plus de monde possible.

Tu devrais donner les références du livre s'il est encore disponible

Merci pour l'intérêt que tu portes à mon livre mais il n'est plus disponible Tu n'as plus qu'à me suivre jusqu'au bout. ahaha

Se sera avec plaisir que je suivrais jusqu'au bout.

J'adore lire cette saga. J'ai hate d'en savoir plus sur ce flirt.
Une correspondance encore très émouvante. Bravo pour partager avec nous!

Merci pour ton commentaire @deboas

Toujours aussi émouvant.
Votre livre doit être très interressant .
Le trouve t-on encore ?

C'est très gentil à vous de vous intéresser au livre mais, non, il n'est plus disponible en librairie.
Je vais continuer la saga sur steemit pour que vous ayez toute l'histoire.
Merci encore de me suivre dans cette aventure.

Ah merveilleux !
C est beaucoup de travail pour vous.
Encore bravo .

je suis émue ..... j'aurais adoré avoir ce livre :)

Merci vous êtes adorable.

Merci de partager ton livre chapitre par chapitre Brigitte...encore un épisode passionnant..., avec un peu de romance cette fois...j'aime bien l'utilisation du mot flirt ici, je ne suis pas sûre d'en comprendre complètement le sens de l'époque, mais c'est charmant... ;-)

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