[FR] Probable rachat de TopAchat par LDLC : vers moins de concurrence sur le marché des PC en France ?

in #fr5 years ago (edited)

Récemment, j'ai pu lire dans la presse que le groupe lyonnais LDLC, qui compte 47 boutiques en France, voulait racheter son concurrent TopAchat. Actuellement, LDLC est l'un des leaders du e-commerce informatique et high-tech en France. Le rachat de TopAchat, site connu pour ses tarifs attractifs et ses promos fréquentes, pourrait donc passer dans giron du groupe LDLC.

Dans cet article, je vous propose de voir quelles sont les raisons qui peuvent motiver un tel rachat, et surtout quelles pourraient en être les conséquences sur le marché.


Pourquoi ces résultats décevants ?

Le premier constat qu'on peut faire à propos de LDLC, c'est que ses prix sont souvent trop chers. J'ai un compte LDLC depuis des années, mais j'ai très rarement acheté chez LDLC. Souvent, j'ai trouvé les mêmes composants pour moins cher chez Rue du Commerce ou chez Materiel.net, et ce encore quelques mois après le rachat de Domisys (Materiel.net) par LDLC.

Mais au bout d'un moment, face à cette concurrence interne au sein du groupe de LDLC, les prix de Materiel.net ont fini par monter et par s'aligner sur ceux de LDLC. Autrefois, Materiel.net était souvent moins cher. Désormais, pour quasiment tous les produits, les prix sont les mêmes au centime près sur le site nantais que sur celui de son homologue lyonnais. Mais à part le nom, la présentation et les promos en cours, il n'y a plus vraiment de différences entre les deux. Du coup, d'un point de vue tarifaire, le site nantais a perdu en attractivité, et certains clients se sont tournés vers la concurrence, par exemple Top Achat (que LDLC veut racheter)... ou encore Amazon.

Amazon, parlons-en. On dirait que le groupe LDLC veut racheter certains de ses concurrents pour limiter la concurrence française et peser face au géant américain. Sauf que la différence majeure entre LDLC et Amazon... c'est que Amazon a des prix compétitifs. Pour les acheteurs qui trouvaient LDLC trop cher par rapport à Materiel.net et Top Achat, le concurrent américain risque de devenir de plus en plus attractif.

Le groupe LDLC semble manquer de clarté et de pragmatisme à la fois dans sa stratégie commerciale et dans sa stratégie tarifaire. Le site veut à la fois être leader français du e-commerce informatique et high-tech, résister face à Amazon et avoir un réseau de boutiques physiques pour concurrencer les autres enseignes françaises. Si on regarde la liste des boutiques LDLC, on peut voir que beaucoup d'entre elles sont implantées dans des zones commerciales en périphérie des grandes villes, un peu comme les magasins de concurrents comme Boulanger, Darty ou Électro Dépôt. Avoir des boutiques physiques, ça permet d'avoir une plus grande visibilité auprès du grand public et de toucher une clientèle qui est plus du genre à aller en magasin pour voir les produits en vrai, les essayer et demander conseil à un vendeur avant d'acheter. Cependant, les boutiques physiques, ça a aussi ses inconvénients. Pour le client, il y a moins de choix que sur Internet, et pour l'enseigne, ça coûte plus cher à faire fonctionner qu'une plateforme logistique avec un site Internet, puisque ça implique d'acheter ou de louer des locaux, de les chauffer, d'avoir des espaces de présentation et de payer des vendeurs, ce qui représente un coût supplémentaire par rapport à un simple site Internet avec un gros entrepôt.

LDLC a des boutiques physiques depuis longtemps (notamment en région lyonnaise) et a accéléré son développement sur le territoire national depuis 2012, et ça explique en partie pourquoi les prix étaient plus chers que des concurrents qui étaient exclusivement en ligne, que ça soit Top Achat ou Materiel.net. Il y a quelques années, Materiel.net a commencé à ouvrir aussi quelques boutiques physiques, un peu sur modèle de LDLC. Mais sachant que le groupe nantais est passé dans le giron de son ancien concurrent lyonnais, il peut paraître étrange d'ouvrir des boutiques LDLC là où il y a déjà Materiel.net et vice-versa. D'un point de vue immobilier, ouvrir deux petites boutiques dans une même agglomération coûte souvent plus cher que d'avoir une seule boutique plus grande mais plus attractive. Cependant, si les deux boutiques ne sont pas situées dans les mêmes zones commerciales, elles peuvent toucher davantage de clients.


Le groupe LDLC est-il en train de faire les mêmes erreurs que certains concurrents ?

LDLC semble ne pas avoir appris suffisamment des erreurs de certains de ses concurrents disparus. Si vous habitez ou avez habité Paris, vous savez peut-être que le secteur du 12ème arrondissement est rempli de petites boutiques informatiques, notamment dans la rue de Charenton et surtout la rue Montgallet. Il y a quelques années encore, avenue Daumesnil, il y avait un énorme magasin Surcouf : avec 6 000 m² de surface sur plusieurs niveaux, c'était presque une attraction touristique pour les fans d'informatique et de hardware. Le magasin accueillait entre 10 000 et 15 000 visiteurs par jour selon ses dires. Avec les commerces, généralement, les prix sont plus bas dans les grandes surfaces que dans les petites surfaces. Un hypermarché Auchan, Carrefour ou Leclerc sera moins cher qu'un Carrefour City ou qu'un petit Monoprix de quartier, qui lui même sera moins cher qu'une petite épicerie de quartier. Pourquoi ? Parce que les grandes surfaces ont beaucoup plus de clients et peuvent bénéficier de prix de gros car elles commandent des quantités beaucoup plus importantes. On pouvait donc se dire que logiquement, une grande surface comme Surcouf devait être moins chère que les petites boutiques asiatiques située à proximité. Pourtant, bien souvent, ça n'était pas le cas : Surcouf avait une énorme surface de vente, mais des prix plus élevés que ses concurrents Internet et même que plein de boutiques du quartier. L'enseigne n'était donc pas compétitive face aux boutiques indépendantes de quartier ni face aux sites Internet comme CDiscount, LDLC, materiel.net, Rue du Commerce et TopAchat.


Le magasin Surcouf de l'avenue Daumesnil (Paris 12ème) en 2011

En 2011, Surcouf fermait ses boutiques de Strasbourg (67) et de Thiais (94). En mars 2012, l'enseigne se plaçait en cessation de paiement, et une procédure de redressement judiciaire était lancée peu après. Quelques mois plus tard, en novembre, faute de repreneur et après une procédure de liquidation judiciaire, le groupe Surcouf disparaissait après 20 ans d'existence. C'est l'un des rares exemples en France où les petites enseignes ont mieux résisté qu'une enseigne de grande surface.

Les autres grandes surfaces semblent avoir elles aussi des difficultés. Il y a quelques années, les magasins Saturn français ont été rachetés par le groupe HTM (Boulanger) qui appartient à la famille Mulliez. Les magasins Saturn sont devenus des magasins Boulanger. Pour ce qui est de la Fnac, elle a racheté Darty en 2016 pour mieux faire face à la concurrence. La Fnac, qui était essentiellement une enseigne culturelle (livres, musique, jeux vidéo) et d'électronique grand public (appareils photos, caméscopes, téléviseurs, PC portables) a aussi décider de se diversifier, en proposant par exemple de l'électroménager et même des affaires de bricolage et de jardinage. Cependant, sur le segment informatique et high-tech, le constat qu'on peut faire, c'est que la Fnac reste trop chère par rapport à beaucoup de ses concurrents, ne serait-ce que pour le prix des câbles USB, Ethernet ou HDMI. Pour le matériel informatique, la Fnac a largement moins de choix que LDLC, Materiel.net et Amazon. Sur le marché des PC et de la connectique, très souvent, les prix de la Fnac ne sont pas compétitifs face à certains gros concurrents, notamment Amazon. C'est en partie pour compenser le manque de compétitivité sur ce marché que la Fnac a décidé de se diversifier. Verra-t-on LDLC se diversifier aussi dans l'électroménager ou le bricolage ? On peut en douter, car le terrain est déjà bien occupé par des enseignes solides implantées depuis des décennies.

Comme certains de ses concurrents physiques, LDLC a fait face à des difficultés. Mais certains de ses concurrents en ligne ont aussi fait des erreurs. Parmi eux, on peut citer par exemple Pixmania. Pixmania était une enseigne de e-commerce spécialisée dans la photo, la téléphone et l'électronique grand public. À partir de 2009, le groupe a commencé à se diversifier en proposant de l'électroménager, puis de la bagagerie en 2010 et de l'ameublement en 2011. Le groupe a aussi ouvert pas mal de points de vente physiques en 2011 et 2012, avant d'être rattrapé par la réalité. En 2013, Pixmania fermait toutes ses boutiques en France, en Belgique, en Espagne et au Portugal suite à des résultats décevants. En 2014, Pixmania était racheté par l'allemand Mutares. En 2015, Pixmania et Mutares rachetaient GrosBill à Auchan. Quelques mois après, Pixmania lançait un "plan de sauvegarde de l'emploi" (donc des suppressions d'emplois). En janvier 2016, la société était placée en redressement judiciaire, puis en liquidation quelques mois après. Cependant, grâce à un repreneur, Pixmania a pu continuer d'exister. Mais ce même repreneur a revendu l'enseigne au bout d'un peu plus de deux ans seulement.

Boulanger a absorbé les magasins Saturn, non sans difficultés. Pixmania et Mutares avaient racheté GrosBill alors que Pixmania était en grande difficulté. La Fnac a racheté Darty mais sans baisser ses prix, et les récents résultats boursiers déçoivent. Le groupe LDLC a racheté Domisys (Materiel.net) et pourrait maintenant racheter Top Achat, actuelle filiale de Rue du Commerce, entreprise qui avait été rachetée par Altarea Cogedim en 2011 avant d'être rachetée par Carrefour en 2016. Désormais, Carrefour s'apprête à vendre Rue du Commerce à Shopinvest (Les 3 Suisses).

Face à la concurrence, les groupes français n'ont pas l'air d'avoir de stratégie claire, ni de se remettre en question. Les ventes baissent ? Certains décident d'ouvrir des boutiques physiques (avec les risques que ça comporte), d'autres décident de racheter un concurrent. Surcouf avait beaucoup misé sur le marketing et sur le développement de ses boutiques, mais l'enseigne avait mal pris le virage du Web et avait des prix trop élevés. Pixmania était l'un des leaders du e-commerce high-tech, mais s'est planté notamment en voulant développer des boutiques physiques. Boulanger se sentait menacé par ses concurrents Internet... et a décidé de racheter son concurrent physique Saturn qui avait des prix souvent trop élevés par rapport à la concurrence. La Fnac se sentait concurrencée par Amazon, elle a décidé de mise sur l'électroménager en racheter Darty.

Plusieurs acteurs du marché français ont eu les yeux plus gros que le ventre avec certains rachats et le développement de leurs boutiques, et ils se sont plantés. Les enseignes physiques ont raté le virage du Net et ont eu du mal à rattraper leur retard, et certains e-commerçants ont voulu concurrencer les magasins physiques en ouvrant les leurs. Le gros point commun entre Surcouf, Saturn, la Fnac, Boulanger et d'autres enseignes, c'était des prix trop élevés par rapport aux concurrents Internet des choix coûteux comme le développement de boutiques pour des sites qui marchaient très bien et qui se suffisaient à eux-mêmes. Si Surcouf avait misé sur Internet plus tôt et avait eu des tarifs compétitifs plutôt que de miser sur des pubs ne touchant que les Parisiens, l'enseigne aurait pu avoir davantage de clients sur Internet en province. Si Pixmania n'avait pas pris la coûteuse décision d'ouvrir des boutiques alors que le site Internet marchait bien avant et si son repreneur Mutares avait essayé de rendre le site compétitif plutôt que d'en faire une marketplace pour toucher des commissions, Pixmania n'aurait peut-être pas coulé en 2016.


Un problème français : la taxe Copie privée

Un autre problème, fiscal cette fois-ci, bien s'ajouter à cette diminution de la concurrence : la taxe Copie privée. Kézako ? C'est une taxe imposée sur les divers supports de stockage : disques durs externes, clés USB, CD et DVD vierges, mémoires flash, etc. Plus la capacité d'un support est importante, plus la taxe est importante.


Image : manseok / Pixabay.

Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'en France, les acteurs de la taxe Copie privée se gavent. La taxe française est l'une des plus élevée d'Europe. Cela fait que les supports de stockage sont souvent plus chers en France que dans certains pays voisins. Avec moins de concurrence française, le marché français risque de voir ses prix encore augmenter. En revanche,de plus en plus de gens (même s'ils resteront une petite minorité) risquent de se tourner vers des revendeurs étrangers, par exemple en Belgique, aux Pays-Bas ou en Allemagne pour leurs composants.


Conclusion

Avec le probable rachat de Top Achat par LDLC, on peut s'attendre à ce les prix de l'un des vendeurs français les plus compétitifs soient tirés vers le haut pour éviter une concurrence interne entre les marques du groupe LDLC, comme cela a été fait pour Materiel.net. Cependant, une hausse des prix de Top Achat pourrait pousser certains clients à se tourner vers d'autres concurrents comme Cdiscount ou même Amazon.

LDLC, comme d'autres groupes français, semble vouloir tirer sa croissance davantage par les rachats de concurrents en ligne comme Materiel.net et Top Achat et le développement d'un réseau de boutiques physiques pour concurrencer Fnac et Boulanger.

Le soucis, c'est que les boutiques physiques, ça coûte de l'argent à développer, et ça représente des coûts supplémentaires par rapport à la vente en ligne (même avec des franchisés). Pour les clients qui préfèrent acheter en magasin, les boutiques LDLC représentent un choix supplémentaire face aux autres concurrents physiques comme Boulanger, GrosBill ou la Fnac. Et pour les clients Internet peu intéressés par l'achat en magasin, les prix actuels de LDLC sont plus chers que ceux de Top Achat ou Cdiscount. Pour les gens qui étaient clients de Materiel.net bien avant le rachat par LDLC, les prix du site nantais ont désormais quasiment les mêmes que ceux du site lyonnais.

Pour le consommateur, le rachat de Top Achat pourrait donner à LDLC une position très favorable sur le marché du e-commerce informatique et high-tech. Cependant, si les prix de Top Achat se retrouvent alignés vers le haut comme ça a été le cas pour Materiel.net, les acheteurs risquent d'être perdants...


Sources

Historique des concurrents

https://www.lsa-conso.fr/le-rideau-de-fer-est-tombe-sur-surcouf,133420
https://www.zdnet.fr/actualites/pixmania-cessation-de-paiement-et-redressement-judiciaire-39830662.htm
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pixmania
https://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/distribution/carrefour-boucle-l-acquisition-de-rue-du-commerce-539928.html
https://www.nextinpact.com/news/77794-pixmania-ferme-ses-boutiques-physiques-et-redevient-pur-cybermarchand.htm
https://www.lsa-conso.fr/pixmania-l-histoire-du-geant-francais-du-e-commerce,142784
https://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/distribution/20120704trib000707341/boulanger-dans-le-piege-de-saturn-.html

Actualités récentes

https://www.nextinpact.com/news/107568-ldlc-entre-chute-cours-et-tentatives-diversifications.htm#/page/5
https://investir.lesechos.fr/actions/recos-analystes/les-resultats-de-fnac-darty-decoivent-le-titre-chute-1877179.php
https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/carrefour-se-separe-de-rue-du-commerce-1146531

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Merci pour cet article :)
Je fais partie des françaises qui préfèrent acheter en ligne mais nous généralement on achète chez gearbest ou ali express !

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Excellent article super intéressant! Merci :) Ahhhh le 12ème arrondissement! Que de souvenir de mon vieil i386 SX 25 CD-ROM 1X tant de fois upgradé 😁

Très bon article. Si je peux me permettre un complément d'info, Surcouf n'a pas toujours été aussi cher. À la fin des années 90/début 2000, ils étaient ultra-compétitifs, justement pour tenir la dragée haute aux boutiques chinoises. Le souci est que Surcouf n'avait pas les bons fournisseurs et devait rogner ses marges au maximum, jusqu'au moment où ça a pété.

Début des années 2000, Surcouf, en grande difficulté financière, est racheté par le groupe PPR (Pinault-Printemps-Redoute, autrement dit le groupe FNAC). Et la FNAC, qui était déjà en train de louper le virage du numérique, a commis l'erreur d'aligner Surcouf sur son propre modèle. On a alors eu droit à un gros bouleversement, le fonctionnement de Surcouf s'est "militarisé" façon FNAC, et les tarifs ont grimpé en flèche. On connait la suite...

Très bon article qui dévoile ce qui se trame en coulisse dans le domaine du E-commerce. Upvoté à 100% !

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